En découvrant le contenu de la Une du Monde (1) des 14/15 octobre 2012, «  Adoption à l’étranger : un coup d’arrêt sans précédent », je suis stupéfaite.

Sous un titre qui paraît implacable, on lit :

«  Les pays d’origine durcissent  de plus en plus les conditions pour adopter »

Puis : « Les adoptions à l’étranger ont chuté de 60 % en 7 ans ». Ce qui est un fait avéré.

Mais ce n’est est  que quelques lignes plus bas que le mot est lâché « trafic ».

A ce stade plusieurs observations :

Par un raccourci saisissant, l’adoption à l’étranger est  souvent assimilée à un trafic.

Bien qu’aucune donnée réelle et fiable ne soit jamais communiquée, force est de constater que les risques  de dérives,  sont en matière d’adoption internationale souvent  considérés comme la règle.

Il serait intéressant de savoir à quoi correspond cette assimilation, largement relayée  par de nombreuses institutions et médias.

Dans la manière dont est menée la procédure d’agrément, dans le discours des acteurs sociaux, et des « experts » de l’adoption, mais aussi dans de nombreux ouvrages spécialisés, et dans la presse grand public, l’enfant adopté, a fortiori à l’étranger, relaye fréquemment le fantasme de l’enfant volé, de l’enfant acheté.

La signification de cette réification de l’enfant adopté assimilé à un objet de plaisir et de désir,  que l’on pourrait acheter au gré de nos caprices, comme n’importe quel objet, est rarement questionnée.

On vous demandera ainsi combien ça coute d’adopter, s’insurgeant éventuellement sur le fait que cela couterait finalement cher, et que seuls des privilégiés pourraient en bénéficier.

Lorsqu’une adoption se passe mal, elle est immédiatement médiatisée sur le thème « ils l’ont pris, ils le rendent » ajoutant à l’idée que l’enfant serait une marchandise que l’on pourrait rendre en fonction de ses humeurs, ou de ses défauts de fabrications.  Or cette association immédiate entre enfant adopté et argent en dit long sur la manière dont est perçu  « l’enfant venu de loin », sur notre rapport à l’autre, à celui qui semble différent.

Qui aurait en effet l’idée de demander le prix d’un accouchement ou le coût de la l’assistance médicale à la procréation (AMP) ?

On pourrait d’ailleurs se demander si l’adoption ne devrait pas être remboursée au même titre que l’AMP…

L’enfant volé est un mythe récurrent qui alimente nos imaginaires, et émaille notamment littérature et contes de fées.

Prendre ce mythe au pied de la lettre, c’est précisément ne pas savoir démêler le fantasme de la  réalité.

Ainsi, les parents adoptants sont bien souvent   présentés sans nuances comme en mal d’enfant, prêts à tout pour en avoir. Que signifie réellement « prêt à tout ».  Cela fait de tout parent adoptant soit un délinquant potentiel,  car le reproche est grave (que devient la présomption d’innocence ?) en tout cas un suspect des pires intentions.

L’adoption perçue dans nos sociétés comme mode « extraordinaire » de filiation comporte-t-elle tant de menaces qu’il faille uniquement l’appréhender sous l’angle du risque, de la peur, de l’échec avec pour seul horizon « le traumatisme » de l’adopté ?

Quel système est si tordu  qu’il reconnaisse légalement l’adoption comme mode de filiation à part entière, tout en faisant planer des doutes sur sa légitimité et son bien fondé ?

Savez-vous que dès le début de la procédure d’agrément le fantasme du trafic à l’étranger est brandi y compris par les travailleurs sociaux ?

Quel type et quel modèle de parenté, un tel système fait  de suspicions et de préjugés peut-il induire ?

Quelles sont ses répercussions sur la légitimité du lien de filiation, le devenir des enfants adoptés eux-mêmes et le lien de confiance qu’ils doivent établir avec leurs parents adoptifs,  alors que par ailleurs  on nous dit que l’intérêt de l’enfant est la priorité absolue ?

Venons en maintenant à l’assertion selon laquelle la baisse des adoptions à l’étranger serait la conséquence de la mise en place par les pays concernés de politiques de luttes contre le trafic d’enfant. Car au terme d’un glissement fallacieux, s’il n’y a plus de trafic, il n’y a plus d’enfant. Ou plutôt s’il y a enfant c’est qu’il y a trafic.

Or aucun élément factuel n’est produit dans l’article du Monde, ni pour étayer l’existence de trafic d’enfant, ni pour étayer le lien entre mise en place de politiques de luttes contre le trafic d’enfants et baisse des adoptions dans ces pays : pas de chiffres, pas de sources à l’appui de ces allégations.

On lit que le développement des classes moyennes  au sein « des anciens grands pays d’origine, Chine, Brésil, Russie … » et le changement des mentalités conduit à une mise en  « concurrence »  entre ressortissant nationaux et  « occidentaux »

Passons sur le vocabulaire utilisé y compris par les institutions et les ONG, vocabulaire qui contribue à assimiler l’enfant à une marchandise dans une économie capitaliste et concurrentielle (concurrence, trafic, candidats etc.). Là encore aucune source, pas le moindre élément vérifiable et chiffré sur la progression des adoptions  en interne.

Si en effet,  il y a bien développement en interne de l’adoption dans certains pays d’origine, on peut raisonnablement douter que ces pays aient véritablement développé une politique volontariste d’encouragement à l’adoption nationale, et que le nombre d’enfants dans les orphelinats ou abandonnés  ait significativement baissé.

Il est clair qu’un pays comme l’Inde par exemple, a à affronter tant d’à priori relatifs, aux castes, à la couleur de peau, au sexe (puisqu’aujourd’hui plus que jamais il est dangereux de naître femme en Inde), à l’état de santé en particulier pour des maladies graves, qu’il est difficile d’imaginer que les enfants abandonnés sont majoritairement adoptés en interne. (cf. notes 3, 4 et 5).

De plus, le développement des mères porteuses et des techniques de procréation médicalement assistées de pointe, contribuent à limiter l’attrait de   l’adoption nationale pour ce pays.

La nouvelle émission de téléréalité  « que la vérité éclate » présentée par l’acteur vedette Aamir Khan, a choisi de s’attaquer aux tabous de la société indienne en prenant comme premier thème la difficile condition des femmes en particulier le sort des petites filles qui compte tenu de « la préférences pour les fils » sont tuées ou abandonnées à la naissance.

Bien que signataire de la convention des droits de l’enfant, il ne semble pas que dans ce pays de plus de 1 200 000 habitant représentant environ 16 % de la population mondiale, les mentalités soient pas prêtes à évoluer. On pourra pour ce faire se référer au rapport 2012 de l’Unicef ou aux statistiques publiées par l’OMS. (cf. 6 et 7).

Ceci est un exemple parmi d’autres car ce n’est bien entendu pas le seul pays en cause.

Combien d’adoptions internes pour combien d’enfants abandonnés dans ces pays ; quels sont les chiffres exacts ?

Ce discours est pourtant relayé par des associations comme Médecins du Monde qui estiment que les classes moyennes sont aussi candidates à l’adoption et que les Etats de ces pays font de gros efforts pour lutter contre les abandons,  sans que ce discours repose sur le moindre élément factuel précis et objectif.(note 8).

La réalité est bien évidemment toute autre, et offre un visage beaucoup plus contrasté. Il suffit de notamment de consulter,  les statistiques de l’Unicef pour s’en rendre compte.  (note 6).

De nombreux pays émergents dont l’économie bénéficie d’une croissance sans précédent, souhaitent véhiculer une image positive sur la scène internationale, et ce faisant gommer la question gênante du sort réservé aux enfants  abandonnés. Ces pays ont aussi compris que ces enfants représentaient une richesse potentielle,  et pouvaient aussi leur permettre d’exercer une pression politique et diplomatique sur leurs partenaires internationaux (la Russie ne vient-elle pas de décider de fermer l’adoption aux ressortissants  américains ?)

En Chine la politique de l’enfant unique a pour conséquence un déficit démographique de millions de filles. En Inde dans certains Etats, par exemple l’Haryana, le ratio femme/homme est de 830 filles pour 1000 garçons, en raison des avortements pratiqués dès connaissance du sexe de l’embryon, sans parler des infanticides.

Comme le relève un autre article paru dans le Monde, il existe dans certains milieux une inquiétude sur le désordre social causé par l’affirmation du droit des femmes. (notes  3 et 9)

Bref, comment donner crédit à l’affirmation selon laquelle les enfants sont désormais adoptés en interne ? Peut-être cela sera le cas un jour, à plus ou moins long terme, mais en attendant les enfants abandonnés et menacés en pâtissent.

De la sorte ces pays préfèrent garder leurs enfants dans des orphelinats plutôt que de leur procurer une famille.

Quelle est alors sur le plan strictement éthique, la justification donnée pour que des enfants abandonnés n’aient pas le droit d’avoir une famille ?

Quelle  est la justification pour que tant d’enfants abandonnés soient placés dans des institutions avec pour certaines des risques sur leur santé physique et psychologique ? Quelle est la justification sur le plan éthique pour que des enfants soient livrés à eux-mêmes dans les rues, et de ce fait victimes des pires exactions ?

« L’adoption est faite pour donner une famille à un enfant et non un enfant à une famille » cette phrase est répétée en boucle, telle un mantra, par tous les experts. Mais comment en serait-il autrement ?  Et pourquoi opposer systématiquement l’intérêt des des enfants et des parents ?

Si l’on admet raisonnablement que l’objectif est de « trouver une famille pour chaque enfant et pas un enfant pour chaque famille », on est justement très loin du compte. Etrange retournement des dispositions « protectrices » de la Convention de la Haye, qui interprétées de la sorte, loin de servir l’intérêt de l’enfant, dont on ne sait pas trop quel est sa définition, produit l’effet contraire.

Pour preuve de telles contradictions, on pourrait prendre aussi l’exemple de la Russie.

Selon les propres termes de l’Unicef, la pratique héritée de la période soviétique a consisté à abandonner des jeunes enfants aux soins de l’état au rythme de 15 000 abandons par ans. L’Unicef a rappelé récemment que le placement en institution va exactement à l’opposé de l’intérêt de l’enfant, entrainant des handicaps physiques et cognitifs pour la vie (…) trois mois passés en institution retardent d’un mois le développement physique ». L’Unicef cite également le cas de la Bulgarie, et d’une augmentation alarmante des abandons en Bosnie-Herzégovine, au Tadjikistan et en Macédoine. L’Unicef a donc lancé une campagne de mesures préventives à l’abandon des bébés, très bien. Mais quid des enfants actuellement placés ? Pourquoi ne pas favoriser leur adoption ? (note 10)

Parce que certaines fausses vérités et clichés ne sont jamais remis en question.

Par exemple l’idée que vivre loin de sa culture est un traumatisme sans nuancer selon les cas. Que signifie en effet la culture d’un enfant qui quitte un pays dans lequel il n’a pratiquement jamais vécu ou avec lequel il n’a que pas ou peu de liens ? Pourquoi serait-il impossible ou si difficile de se construire loin de son lieu de naissance. Sur quelles bases repose ce postulat ? Et en quoi cela entrainerait-il quasi automatiquement un traumatisme  indélébile ?

Pourquoi l’adoption est-elle obligatoirement le dernier recours quitte à laisser des enfants mourir, vivre dans des conditions inacceptables livrés à eux-mêmes ou être placés en familles d’accueil ?

Sur ce dernier point on pourra se reporter au rapport de l’Académie nationale de médecine qui a rappelé dans un rapport en 2011 que le nombre d’enfants en danger en France était de l’ordre de 250 000 à 300 000 enfants alors que le nombre d’adoption nationales était d’un peu plus d’une centaine. Or environ 10 % de ces enfants en danger pourrait prétendre à l’adoption. (note 11)

La pensée commune a intégré ces assertions de sorte que l’enfant adopté est immédiatement « auréolé » de tous ces clichés qui forcément nuisent à la sérénité de son adoption : enfant adopté = enfant arraché à ses racines, à sa culture. Enfant adopté = enfant traumatisé. Enfant adopté = problèmes et risques, certains spécialistes de l’adoption n’hésitant pas à jouer sur les peurs.

On l’entend en ce moment à l’envie,  dans le cadre des débats sur le mariage pour tous, « l’enfant adopté est un enfant traumatisé » !

Quel est l’impact de tels préjugés sur le développement des enfants adoptés, et sur le comportement des parents adoptifs ? Quelle est leur marge de manœuvre et de liberté individuelle de dire et construire leurs propres histoires telle qu’ils la ressentent réellement ?

Pourquoi l’adoption internationale se heurte-t-elle a tant d’opposition au nom de l’intérêt de l’enfant, alors que des sujets bien plus aigus ne sont que rarement étudiés ou mis en avant par les média, tel le sort des enfants soldats par exemple, pourtant si nombreux ?

Derrière toutes ces contradictions existe en fait un discours idéologique, fait de préjugés et de tensions.

D’abord très certainement la confusion entre engendrement et  filiation, ignorant l’enseignement des sciences humaines.

Ensuite la primauté du biologique, de la chaire et du sang matinée d’idéologie du droit du « sol ».

A partir du moment où la filiation est ancrée dans le sang et dans le ventre, force est de constater que l’adoption est difficilement pensable autrement que comme une filiation de subsidiarité.

Cette impossibilité de penser la filiation en dehors de tout lien biologique est à la source d’une prétendue rationalisation des risques et empêchements à l’adoption.

Il existe également de fortes culpabilités en particulier vis à vis des pays dits émergents et un défaut de véritable volonté politique et diplomatique menée au niveau international.

La mise en place de ce travail de décryptage permettrait d’éviter de nombreuses fausses pistes et contribuerait à éviter d’en passer pas une vision systématiquement catastrophiste, et d’en référer en permanence à la question du traumatisme ou de l’arrachement qui provient bien plus du regard porté par la société et de la stigmatisation en découlant que de la situation elle-même.

Il est enfin temps d’avoir le courage d’affronter la question de l’adoption de manière globale, en dehors des schémas habituels et des vérités toutes faites, chiffres à l’appui et avec une réelle volonté de faire changer les choses au plan individuel et collectif.

Yaël HALBERTHAL

Notes et références :

1 : “La grande crise de l’adoption à l’étranger” Le Monde 13 octobre 2012

2 : Association Lilit, Liens, Liberté, Transmission

3 : “Le Moyen Age sévit aux abords de New Delhi “ Le Monde, 29 décembre 2012

4 : ONU Femmes

5 : IRIN News : Nouvelles et analyses humanitaires : “La préférence pour les fils “ http://www.irinnews.org/pdf/bbf/1IRIN-Duo-French.pdf

6 : Site de l’Unicef et Rapport de l’Unicef  sur la situation des enfants dans le monde 2012 http://www.unicef.org/french/publications/files/SOWC_2012_Executive_Summary_LoRes_PDF_FR_03132012.pdf

7 : Site de l’OMS

8 : Revue Humanitaire n° 31/2012  : “Quel avenir pour l’adoption Internationale

9 : Article de Prem Chowdhry, chercheur en économie politique et sociale, paru dans le Economic and Political Weekly “ Infliction Acceptance and Resistance

10 : Sur l’abandon en Russie et

http://www.google.com/hostednews/afp/article/ALeqM5gfvyJAi8V8mxUGBeEXPTAHn2rvZw?docId=CNG.d6fc1b82d394c0fa4e973dbb8caf39c2.121

11 : Rapport Académie Nationale de Médecine