Ce billet porte sur le récent article publié sur PUBLIC SENAT : « Au-delà du mariage gay, les sénateurs visent une réforme de l’adoption ».

Pourquoi pas, l’adoption mérite en effet d’être traitée autrement et en tout cas mieux. Mon optimisme sera toutefois de courte durée.

Ceux qui n’ont pas réussi avec la réforme sur le  mariage vont tout simplement se rattraper  ailleurs, misant pour ce faire  sur un thème qui politiquement et idéologiquement  « parle » à tous, celui de la filiation.

Fi du mariage, place à la filiation ! Et pour mieux rencontrer les grandes angoisses et croyances qui obsèdent médias et pensée commune place à l’adoption ! (cf récemment les articles dans le Monde « adoptions à l’étranger un coup d’arrêt sans précédent », toujours dans le Monde titré « 1000 francs l’enfant », ceux depuis quelques semaines sur les orphelin en Russie dans Libération notamment,  l’article paru dans le magasine ELLE qui titrait « Loin du conte de fée la vérité sur l’adoption »).

Je trouvais depuis longtemps que l’adoption avait mauvaise presse, mais autour de moi peu me suivaient : « tu exagères, mais non l’adoption c’est formidable, il n’y a pas de problème, tout le monde est « pour ». « être pour l’adoption » qu’est ce que cela signifie me demandais-je comme si on parlait d’un nouveau concept.

La preuve me rétorquait-on : les enfants adoptés sont comme les autres, ce n’est pas parce qu’ils n’ont pas de vrais parents que … la preuve encore, dans mon école il y a des petits « chinois », « africains », « brésiliens » et ils s’adaptent très bien. La maîtresse a été très bien, elle a lu un livre là dessus écrite pas une psy. Elle, il, n’a pas l’air trop traumatisé tout de même ! Elle va retourner dans son pays ? Est-ce qu’elle parle sa langue ?

Les débats sur le mariage pour les personnes de même sexe qui a eu lieu ces derniers mois ont non seulement mis à mal l’institution de l’adoption, mais ont par leur violence et par leur indécence gravement blessé les enfants adoptés qui, en tout cas pour beaucoup d’entre eux et quelque soit leur âge, ont dû faire face, à une floraison de questions véhiculant les pires clichés en particulier liées au « traumatisme, au malheur et au fardeau qu’ils porteraient à vie ».

On sait très bien avec Gérard Noiriel 1 que « si les propos négatifs qui sont tenus sur la place publique ne vous touchent pas personnellement parce qu’il n’affectent pas votre famille ou votre milieu social vous aurez tendance à les minimiser ou bien vous ne les percevrez même pas comme négatifs ou dévalorisants (…) ».

Il poursuit : «  les concepts que nous employons fonctionnent comme des catégories abstraites (…) tout mon travail en tant que socio-historien consiste à déconstruire ces catégories pour retrouver les personnes réelles, dans leur infinie diversité ».

Cette notion d’infinie diversité sur laquelle j’aimerais m’arrêter paraît réellement pertinente afin d’éviter les clichés et les stéréotypes qui consistent pour les médias à avoir tendance « à présenter l’actualité comme un immense récit de fait divers ». ( cf les articles cités ci-dessus » et pour le public à effectuer « un travail d’appropriation de ces représentations grâce auquel se fixe le sens du message ».

C’est exactement ce qui se passe en matière d’adoption, où de nombreux politiques ont parfaitement intégré ces représentations négatives et s’en servent aujourd’hui comme levier, oubliant purement et simplement que l’adoption n’est ni un concept, ni un slogan, ni même une espèce de chimère que l’on pourrait tordre dans un sens ou un autre en fonction de ce que l’on souhaite lui faire dire et surtout que l’adoption concerne des enfants.

L’adoption plénière est un mode de filiation à part entière prévu par les dispositions du Code civil au même titre que les autres modes d’établissement de la filiation.

L’adoption c’est aussi une réalité et une mesure de protection qui concerne des milliers d’enfants et leur permet d’être élevés par un ou des parents, dans la sécurité d’un lien irrévocable et définitif qui leur assure le droit fondamental d’avoir une famille, quelle que soit du reste la configuration de cette famille.

Il ne peut pas y avoir de différence sur ce point pour certains enfants par rapport à d’autres.

Pire cette différence fondée notamment sur la sexualité du ou des parents serait juridiquement anti constitutionnelle et porterait également atteinte aux principes fondamentaux  qui reconnaissent à chaque enfant le droit d’être élevé par ses parents et d’avoir une famille et une vie privée.

Cette différence serait également contraire au principe d’égalité et de non-discrimination au égard aux  droits fondamentaux qui viennent d’être rappelés.

Or les propos de Jean-Pierre Michel sur Public Sénat tiennent de l’amalgame. Le fait que les enfants soient adoptés à l’étranger, y compris plus âgés, ne peut pas justifier la création d’un lien de filiation au rabais et insécure en violation manifeste des principes les plus élémentaires auxquels ces enfants ont pratiquement, éthiquement  et juridiquement droit. Je ne reviendrai pas sur les affirmations  absurdes selon lesquelles on cache à ses enfants leurs origines ce qui est absolument erroné et relève de la désinformation.

Madame Tasca n’est pas en reste et abonde «  il faut trouver une manière de confier un enfant à une famille sans forcément passer par l’adoption, et surtout sans la fiction de la filiation ».

Pour résumer il y aurait donc de vraies et de fausses filiations, voire de vraies filiations et d’autres situations.

Or la filiation est toujours une fiction, sauf si on se réfère au seul modèle biologique ce qui n’est pas le cas dans notre droit et ne l’a jamais été.

C’est le cas de l’adoption plénière qui est précisément un mode à part entière d’établissement de la filiation en dehors de tout lien biologique, institué par les dispositions du Code civil.

Mais c’est également le cas du mariage qui institue également un mode de filiation « artificiel ».

En effet, tel qu’il existe actuellement et ce depuis le Code Napoléon, le système de filiation paternel établi  par le Code civil repose sur la présomption de paternité. Au terme des dispositions de l’article 312 du Code civil : « l’enfant conçu ou né pendant le mariage a pour père le mari ».

Autrement dit, le père est le mari de la femme qui a enfanté, et ce quelle que soit la réalité biologique, qu’il soit ou non le géniteur.

A suivre le raisonnement de Madame Tasca jusqu’à l’absurde, il faudrait imposer à tous les enfants issus du mariage, un test de paternité, et obliger en cas de résultat  négatif à changer la dénomination du lien qu’ils entretenaient avec leurs parents, qui ne le seraient donc plus.

Plus sérieusement, comment justifier que certains enfants ait un véritable lien familial et d’autres non ? Ceci est non seulement absurde mais surtout contraire à l’intérêt de l’enfant et des enfants.

Quel que soit notre champ d’intervention, il est grand temps de réintroduire des comportements responsables y compris ou surtout pour les politiques et de lutter contre les clichés et idées reçues.

Yaël Halberthal

1 Gérard Noiriel : Racisme : la responsabilité des élites, éditions Textuel 2007.