La question qui nous préoccupe aujourd’hui est celle de l’adoption comme alternative au placement.

Quelques données chiffrées :

Je partirai d’un constat : selon le dernier rapport rendu en 2015 par l’ONED, Observatoire National de l’Enfance en Danger, on pouvait dénombrer au 31 décembre 2012, 284 000 enfants mineurs faisant l’objet d’une mesure de protection de l’enfance au titre de l’ASE, Aide sociale à l’enfance (1). 

Ces mesures de protection sont variées et recouvrent des situations  très différentes, qui suscitent un ensemble de mesures  telles aides financières, mesures d’actions éducatives en milieu ouvert, aides en prévention des placements, placements etc. 

Parmi ces mesures de prises en charge, 138 000 enfants sont aujourd’hui confiés au titre de l’ASE, c’est à dire placés soit en établissements spécialisés (39 %) soit en famille d’accueil (52 %).

La présente analyse porte uniquement sur les enfants placés, c’est à dire ceux qui ne vivent plus dans leur famille d’origine à la suite d’une mesure de protection administrative ou judiciaire, mesure qui intervient lorsque l’enfant est considéré en danger ou en cas de délaissement parental.

Si l’on compare les chiffres qui précèdent avec le nombre d’enfants pupilles de l’Etat, c’est à dire d’enfants, tous cas confondus, qui peuvent bénéficier d’une mesure d’adoption, on relève qu’au 31 décembre 2013, si 2 363 enfants avaient  bien le statut de pupille de l’Etat, seulement 894 d’entre eux étaient placés en vue d’adoption, ce qui semble très faible.

De surcroit parmi ces 894 enfants figurent des enfants abandonnés sous X ou remis volontairement par leurs parents, ce qui constitue une situation différente des cas de délaissement parentaux ou de retrait judiciaire de l’autorité parentale lorsque l’enfant court un danger.

Si 25% des pupilles ont moins d’un an, (ils sont 41 % lors de leur admission), 7 % d’entre eux ont plus de 17 ans, et leur âge moyen tourne autour de 7,7 ans.

Les enfants admis comme pupilles suite à une décision judiciaire (42 % d’entre eux environ) sont souvent les plus âgés,  28,5 % d’entre eux étant admis comme pupilles après une prise en charge d’au moins cinq ans par l’ASE. 

Autrement dit il s’écoule environ 5 ans durant lesquels ces enfants  sont placés, avant de pouvoir  obtenir le statut de pupille qui leur permettrait d’être adoptés.

Mais ce n’est pas tout, les enfants admis suite a ̀ une déclaration judiciaire d’abandon, en cas de délaissement parental, sont ceux qui restent placés auprès de l’ASE le plus longtemps, 6,3 ans en moyenne.

Lorsque l’on sait que l’un des obstacles à l’adoption de ces enfants sera leur âge, comme le démontrent les statistiques de l’ONED (2), on mesure le caractère totalement paradoxal d’une telle situation.

Concrètement non seulement un nombre très faible d’enfants placés auront le statut de pupille qui leur permettront d’être adoptés (environ 894 enfants adoptés en 2013 sur les 138.000 enfants placés soit 0,65%), mais en outre le nombre d’enfants pupilles de l’Etat ne cesse décroitre depuis 10 ans.  S’ils étaient 3.911 en 1993, ils ne sont plus que 2 363 en 2013, et le nombre d’entre eux placés en vue d’adoption est passé de 1.327 en 1993 à 894 en 2013.

Le problème posé : 

Forte de ce constat, mon propos consistera à m’interroger sur les causes de cette désaffection pour l’adoption, et à exposer les raisons juridiques et éthiques qui justifient à mon sens le recours plus fréquent à l’adoption (simple ou plénière) pour ces enfants.

Je démontrerai qu’avant même de pouvoir espérer un changement des pratiques, une véritable prise de conscience et une évolution des mentalités, doit être enclenchée.

A ce stade il me paraît important de rappeler que notre propos concerne les enfants accueillis par l’ASE et placés suite à un retrait total de l’autorité parentale, au désintérêt manifeste des parents ou au danger encouru par le mineur. Nous exclurons le cas des enfants abandonnés à la naissance ou remis volontairement par les parents,  pour lesquels l’adoption ne semble pas poser de problème de principe. 

Dans les cas qui nous préoccupent, l’article L.224-4 du Code de l’action sociale et des familles, dispose que ces enfants peuvent être admis comme pupilles de l’Etat, et de ce fait, au terme de l’article L.225-1 du même Code, en droit de bénéficier d’un projet d’adoption. 

Revenons sur les différents cas de figure qui permettent d’envisager le placement d’un enfant.

Le désintérêt manifeste

L’article 350 du Code civil prévoit que pour des enfants recueillis par l’ASE ou même par un particulier, la demande en déclaration d’abandon doit intervenir obligatoirement un an au moins après le désintérêt manifeste des parents.

Le Code donne comme définition du désintérêt manifeste  le fait de n’avoir pas entretenu avec l’enfant des relations nécessaires au maintien des liens affectifs, et précise que la demande de nouvelles ou l’intention exprimée mais non suivie d’effet de reprendre l’enfant n’est pas une marque d’intérêt suffisante

Le retrait de l’autorité parentale 

L’Article 378 du Code civil envisage notamment le cas de condamnation pénale des pères et mère comme auteur, coauteur ou complices de crimes et délits contre leur enfant.

L’Article 378 -1 vise les cas de mauvais traitements au sens large, tels consommation excessive d’alcool ou de stupéfiants, inconduite notoire, comportements délictueux, défaut de soins ou un manque de direction mettant manifestement en danger la sécurité, la santé ou la moralité de l’enfant.

Il en est de même, en cas de mesure d’assistance éducative, lorsque les pères et mères se sont abstenus volontairement d’exercer leurs droits et de remplir leurs devoirs, principalement droit de visite et d’hébergement ainsi que droit de correspondance.

Les mesures de placement

L’article 375 du Code civil, permet de prendre des mesures de placement dans les situations ou la sante, la ́ sécurité, la ́  moralité ́ du mineur sont en danger, ou  si les conditions de son éducation ou de son développement physique, affectif, intellectuel et social sont gravement compromises, autrement dit dans des cas graves ou l’enfant court un danger.

Application concrète :

En dépit de cet arsenal juridique, un nombre très important d’enfants placés, le plus souvent suite à un délaissement parental, ne bénéficiera pas du statut de pupille de l’Etat qui leur permettrait d’être adoptés, alors même qu’ils ne retourneront jamais dans leur famille d’origine. 

Quant à ceux qui deviendront pupilles, 48 % d’entre eux seulement bénéficieront d’une mesure d’adoption.

Il n’existe malheureusement pas à ma connaissance de statistiques nationales qui permettraient de savoir combien d’enfants placés retournent vivre dans leur famille, à quel moment et dans quel contexte, ou tout du moins gardent  des liens avec leurs proches.

Il n’existe pas plus de statistiques sur le devenir des enfants placés, mineurs ou majeurs. 

Ces lacunes rendent toute volonté d’action particulièrement difficile.

L’ONED a en revanche publié des statistiques sur les pupilles, qui  permettent de mieux cerner les motifs du faible nombre d’adoptions (2) :

  • L’âge avancé des enfants,
  • Leur état de santé ou d’handicap   
  • Leur situation en fratrie. 
  • Leur bonne intégration en famille d’accueil,
  • L’existence de liens avec la famille d’origine, pas forcément les parents mais parfois, oncle, grands parents … même distendus.

Lorsque que l’on sait que l’âge  des enfants est dans la majorité des cas la conséquence d’un défaut de mise en place de la procédure d’adoption suffisamment tôt, on mesure l’absurdité de la situation.

En ce qui concerne la santé  ne serait-ce que psychique de ses enfants on peut s’interroger sur les séquelles d’un placement prolongé en Institution. 

Pourquoi de tels freins à l’adoption :

Cette situation semble donc non seulement aller à l’encontre du simple bon sens, mais en outre difficilement acceptable dans un pays particulièrement sensible à tout ce qui touche au bien-être et aux des Droits de l’enfant. 

Pourquoi ces enfants restent-ils  en Institution plutôt que d’être adoptés ?  Faut-il en conclure qu’être élevé et grandir en institution est non seulement une bonne solution, mais une meilleure solution ? 

Toutefois  de nombreux rapports ont depuis plusieurs décennies dénoncé cette situation : le rapport Colombani (2008) (3), le rapport Mattéi (1995) (4), le Livre blanc Enfance et famille d’adoption (2012) (5), le rapport ONED (2013) (2), le rapport de l’Académie Nationale de Médecine  (2011) (6). Or ces rapports n’ont pas véritablement été suivis dans les faits.

Force est de constater que dans la majorité des cas, l’adoption n’est pas aujourd’hui considérée comme un droit pour ces enfants, à savoir le droit de bénéficier d’une véritable parentalité, à égalité avec la parentalité naturelle. Elle ne semble pas  plus considérée comme une mesure de protection de l’enfance à part entière,  ce qu’elle est pourtant juridiquement.  

Le simple fait de formuler  la question de «  l’adoption comme alternative au placement » laisse entendre que la parentalité adoptive ne va pas de soi et tendrait plutôt à être une « sous parentalité », voire une solution de rattrapage. 

Les mentalités semblent tellement  imprégnées de cet a priori que les professionnels vont souvent « préférer » qu’un enfant reste placé en institution plutôt que de lui attribuer une famille adoptive sous prétexte de ne pas rompre des liens « biologiques » qui soit n’existent pas ou plus, soit sont délétères et présentent au contraire une menace ou un  danger pour l’enfant.

Des raisons idéologiques :

Or on retrouve cette sacralisation  de la filiation biologique,  favorisée par le renouveau idéologique d’un certain  « naturalisme » à tous les échelons des acteurs de la société civile : personnel administratif, travailleurs sociaux, mais également médecins, juges, etc … 

Cette image dévaluée de l’adoption est également très présente dans les médias où elle est souvent relayée par les chercheurs.

De nombreux travaux et articles sur la parentalité, je pense par exemple aux articles écrit à l’occasion des questions relatives à la gestation pour autrui, ou au mariage pour tous, dessinent ainsi en creux une image de l’adoption reposant sur de multiples à priori et reprennent à leur compte des erreurs et présupposés historiques, sociaux et juridiques. 

Les juridictions ne sont pas épargnées, des décisions de justice ayant parfois réduit l’intérêt de l’enfant à son seul intérêt biologique, et ce au mépris de la règle de droit, tel ce cas d’abandon sous X où la Cour d’Appel de Paris n’a pas hésité à considérer que l’intérêt de l’enfant abandonné était de vivre avec ses grand parents biologiques et non d’être adopté. (7)

Force est de constater que lorsque la question de l’adoption est abordée, que cela soit dans le cadre de forums, tables rondes, colloques d’experts, ou dans les médias, elle est le plus souvent appréhendée sous l’angle des  risques voire des échecs, et plus préoccupant, vécue comme tel par de nombreux travailleurs sociaux.

De nombreux  et influents relais sociétaux : magistrats, équipes et personnel administratif, médecins, psychologues, milieux scolaires, médias, etc. ont du mal à considérer l’adoption comme ce qu’elle est juridiquement à savoir un modèle de parentalité à part entière, un des modes de création de filiation, et un mode de protection pour des enfants privés de famille ou qui ne peuvent rester dans leur famille, en cas d’abandon ou de défaillances graves des parents.

Des blocages techniques :

Aux côtés de ces freins d’ordre idéologique coexistent des points d’achoppements plus techniques, dus notamment à la lourdeur administrative, à la dilution des institutions de prise en charge des enfants, au « double » échelon administratif et judiciaire, au défaut de communication entre les différents services, aux délais tant de prise en charge que de recours, etc. 

Pourtant ces difficultés  techniques pourraient être largement solutionnées en procédant à différents aménagements et réorganisation de la prise en charge des enfants placés. 

En revanche aucune avancée sérieuse et concrète ne pourra se faire sans en passer par un changement profond des mentalités et le rappel des principes fondamentaux qui doivent nous guider en la matière.

La légitimité éthique et juridique du recours à l’adoption plénière pour les enfants placés :

Venons-en aux raisons éthiques et juridiques qui justifient à mon sens de recourir à l’adoption pour les enfants placés, et aux raisons pour lesquelles l’adoption plénière devrait prévaloir sur l’adoption simple.

Je partirai du droit fondamental pour chaque enfant d’avoir des parents, de mener une vie familiale et de bénéficier en conséquence de tous les droits découlant de cette situation.

Ce droit fondamental résulte d’abord de l’analyse des textes tant nationaux qu’internationaux. 

En premier lieu, le droit pour un enfant d’avoir une famille est affirmé par la Cour Européenne des droits de l’Homme (CEDH) :

  • L’article 8 de la CEDH rappelle le droit au respect de la vie privée et familiale.
  • L’article 14, vise l’interdiction de discrimination du fait de la naissance.
  • L’article 3, l’interdiction de traitements inhumains et dégradants : santé et soins.

Il est à noter que sur la base de ce dernier article, une intéressante requête est actuellement en cours auprès de la CEDH, au terme de laquelle des parents soutiennent que les enfants qu’ils s’apprêtent a ̀ adopter ont besoin de soins médicaux spécialisés, disponibles uniquement aux Etats-Unis, et que ces enfants se trouvent actuellement privés des soins en question. (8)

En second lieu, la Convention internationale relatives aux Droits de l’Enfant de

1989(CIDE) rappelle dans son préambule que la famille est l’unité fondamentale de la société et le milieu naturel pour la croissance et le bien être de tous ses membres, en particulier des enfants.

Selon la CIDE, l’enfant doit grandir dans ce milieu familial, dans un climat de bonheur, d’amour et de compréhension ( …) et il importe de préparer pleinement l’enfant à avoir une vie individuelle dans la société et de l’élever dans l’esprit des idéaux proclamés par la Charte des Nations Unis et en particulier dans un esprit de paix, de dignité, de tolérance, de liberté, d’égalité et de solidarité. 

Toujours selon la CIDE, il convient de garder à l’esprit que, «  comme indiqué dans la Déclaration des droits de l’enfant, l’enfant, en raison de son manque de maturité physique et intellectuelle, a besoin d’une protection spéciale et de soins spéciaux, notamment d’une protection juridique appropriée, avant comme après la naissance ».

La CIDE fait également état en son article 3, de la notion d’intérêt supérieur de l’enfant qui doit être la considération primordiale.

Ainsi, les deux parents ont une responsabilité commune pour ce qui est d’élever l’enfant et d’assurer son développement (art 18).

L’enfant doit par ailleurs être assuré d’une protection contre les violences, atteintes, brutalités, négligences (art 19).

Les articles qui précèdent doivent être combinés avec l’article 20 qui énonce que « Tout enfant qui est temporairement ou définitivement privé de son milieu familial, ou qui dans son propre intérêt ne peut être laissé dans ce milieu, a droit à une protection et une aide spéciale de l’Etat. Les Etats parties prévoient pour cet enfant une protection de remplacement conforme à leur législation nationale. Cette protection de remplacement peut notamment avoir la forme (…) de l’adoption (…). Dans le choix entre ces solutions, il est dûment tenu compte de la nécessité d’une certaine continuité dans l’éducation de l’enfant (…).

La CIDE prend également en compte la question des enfants souffrant d’un handicap.

De son côté, le Conseil constitutionnel a fondé le droit de mener une vie familiale normale sur l’alinéa 10 du Préambule de la constitution de 1946.

L’article 10 dispose en effet, que la Nation assure à l’individu et à la famille les conditions nécessaires à leurs développements.

Un tel droit doit également à mon sens découler de la notion d’intérêt supérieur de l’enfant.

L’article L 112-4 de Code de l’action sociale et des familles  fait état de la notion d’intérêt de l’enfant, et rappelle la prise en compte de ses besoins fondamentaux, physiques, intellectuels, sociaux et affectifs ainsi que du respect de ses droits – (lesquels) doivent guider toutes les décisions le concernant.

Même s’il faut bien admettre qu’en pratique l’intérêt supérieur de l’enfant est  souvent assimilé par les juges à l’intérêt du maintien du lien biologique, le droit de mener une vie de famille est donc un droit absolu pour chaque enfant et à fortiori pour les enfants privés de famille.

Par ailleurs, si l’on se place sur le plan de la simple égalité des droits et de la justice il ne peut être justifié que certains enfants aient une famille et d’autres non, et il importe peu que cette famille soit « biologique » ou non. 

En revanche la famille à laquelle peut prétendre un enfant doit bien entendu correspondre aux modèles de parentalité et familiaux en cours.

La question est de remédier de la manière la plus juste et la plus complète au défaut de parent, c’est à dire au manque de parent ou à leur défaillance.

Certains enfants sont dans une situation injuste et il convient d’atténuer cette injustice en leur procurant les mêmes chances et les mêmes droits  que les autres enfants. 

C’est pour cette raison que je suis amenée à formuler de sérieuses réserve sur le fait que l’adoption simple puisse être une solution.

En effet, le droit de mener une vie de famille comprend toutes les conséquences liées à cette situation, à titre non exhaustif, affection, soins, éducation pour le présent mais également un engagement dans la durée, pour la vie entière de l’enfant et en réalité  bien au delà. 

Cet engagement suppose également le respect de nombreuses obligations à son égard notamment d’ordre patrimonial et juridique, là encore sans aucune limitation de durée car elles pourront également concerner ses descendants.

Ceci sous tend par conséquent une intégration complète dans la famille adoptante, générant en conséquence des droits et des obligations de la part des autres membres de la famille que les parents adoptants. (grands-parents, frères et sœurs, cousins, oncles et tantes etc.)

Ainsi comme l’a constaté la Cour de Cassation dans un arrêt du 4 mai 2011 relatif à un cas d’adoption simple, le rapport filial ne peut être réduit à des liens d’affection ou d’amitié. (9)

Autrement dit, il faut une volonté bien spécifique de création d’un lien de nature filial qui ne peut pas être confondu avec d’autres liens notamment affectifs.

Un tel lien se déploie non seulement dans la sphère privée mais au delà de celle-ci dans la sphère publique.

Il existe ainsi une dimension sociale qui implique que l’enfant soit reconnu comme tel par la société et dans la société.

Cette dimension sociale qui structurait par exemple très fortement la famille dans la Grèce Antique ne doit pas être négligée, et l’on retrouve cette idée dans la notion chère aux juristes de «  possession d’état ». 

Ainsi plusieurs jurisprudences rendues au 19ème siècle en matière de filiation relèvent parmi les éléments de nature à établir la notion de parenté le fait que « le père l’a traité comme son enfant et qu’il a été constamment reconnu pour tel dans la société et par sa famille ».(10) 

De sorte que «  on ne peut douter que l’enfant soit né du mariage quand ses pères et mères l’on constamment traité comme le sont les enfants légitimes ».(11) 

Etre parent ne se réduit pas à combler des besoins, aussi fondamentaux soient-ils, mais implique également une reconnaissance sociale et sociétale bien plus large et le fait de bénéficier de la légitimité découlant de ce statut.

Etre parent engage la notion de volonté, d’engagement et son corollaire la responsabilité découlant de ce choix.

Etre parent suppose la volonté de transmettre et convoque l’idée d’une temporalité qui loin d’être donnée à tous, permet de se projeter vers l’avenir en offrant  à l’enfant un véritable projet de vie. 

Force est pourtant de constater que l’adoption simple ne rentre pas dans ce schéma car elle correspond à un état d’esprit totalement différent.

  

La comparaison entre adoption plénière et adoption simple :

L’adoption simple est une pratique majoritairement utilisée entre majeurs ou dans le cas d’une adoption intra familiale, ou de recomposition familiale, le cas le plus fréquent étant l’adoption de l’enfant du conjoint.

« ( …) Les effets de l’adoption simple sont moins complets et définitifs que ceux de l’adoption plénière.  Elle superpose les liens de filiation adoptive aux liens d’origine, ce qui pose de délicats problèmes.  En effet, certains droits ne peuvent être partagés entre les deux parentés. La coexistence des deux liens de filiation exige que soit définie soigneusement, pour chaque question envisagée, la situation de l’adopté tant au regard de sa famille d’origine qu’au regard de sa famille adoptive. La formule de l’article 364, alinéa 1, du Code Civil selon laquelle l’adopté reste dans sa famille d’origine n’est que partiellement vraie. En réalité, l’adopté a désormais deux familles, mais c’est à l’adoptant qu’il est rattaché à titre principal (…) ». (12) (Rép. Civ. Dalloz Adoption 2008 p 78 et s.)

A titre d’exemple, l’adoption simple n’empêche pas en principe la constatation ultérieure d’un lien de filiation biologique soit par reconnaissance soit par déclaration judiciaire. 

De même, l’adopté conserve tous ses droits, notamment ses droits héréditaires dans la famille d’origine et réciproquement les parents d’origine peuvent à certaines conditions avoir des droits dans la successions de l’adopté. 

La situation a également des conséquences en matière d’obligation alimentaire puisqu’en fonction des circonstances, l’adoption simple peut laisser subsister l’obligation alimentaire avec la famille d’origine. 

Egalement l’adoption simple ne confère pas automatiquement à l’adopté la nationalité française.

Alors que l’adoption plénière est irrévocable, l’adoption simple peut être révoquée pour motifs graves à certaines conditions.

Enfin et surtout, l’adoption simple ne crée pas de lien de parenté avec l’ensemble des membres de la famille de l’adoptant, par exemple les grands parents mais également avec les enfants éventuels de l’adoptant, ce dernier élément allant manifestement à l’encontre de l’intérêt de l’enfant en ne lui permettant ni d’être totalement intégré dans sa famille adoptive, ni de construire un véritable projet de vie pérenne et serein.

La CEDH dans un arrêt Wagner c/Luxembourg du 28 juin 2007,  a pourtant rappelé la nécessitée pour l’enfant de bénéficier d’une protection juridique rendant possible son intégration complète dans la famille adoptive. (13)

Consciente de ces difficultés, la proposition de Loi relative à la protection de l’enfant, adoptée le 12 mai 2015 par l’Assemblée Nationale propose que l’adoption simple soit rendue irrévocable durant la minorité de l’enfant. (14)

Or cette proposition de Loi ne résout en rien les autres obstacles juridiques décrits précédemment.

De plus, si la proposition de Loi restreint les modalités de révocation de l’adoption simple durant la minorité de l’enfant, elle ne l’exclut pas, la révocation restant possible sur demande du ministère public. De plus quelle sera la situation à la majorité de l’enfant ? 

En réalité, l’adoption simple ne correspond pas à notre modèle familial tel que nous le pratiquons.

Non seulement elle n’offre juridiquement pas les mêmes garanties que l’adoption plénière, mais elle ne donne pas à l’enfant toutes les chances auxquelles il peut prétendre. 

Avoir des parents c’est avoir des parents pleinement parents, car la parentalité ne peut être substituée par autre chose ni être divisée. 

Elle n’est pas équivalente à un parrainage ou à un autre mode d’accompagnement, quelque soit le mérite de ces situations qui, dans certains cas, doivent incontestablement trouver leur place.

Mais lorsqu’un enfant n’a plus de lien avec ses parents d’origine, que les liens sont délétères ou que l’enfant court un grave danger et qu’aucun projet à long terme n’est possible dans sa famille d’origine, l’enfant doit pouvoir bénéficier d’un véritable projet. 

Ceci est « encore » plus vrai pour les enfants plus âgés, ou dont l’état de santé, de handicap, etc. seraient des freins à l’adoption. 

Appréhender la situation sous l’angle de l’égalité des chances, des droits fondamentaux de l’enfant, et de son intérêt supérieur, permet d’éviter le débat d’idées contreproductif mais pourtant très prégnant en France qui consiste à opposer les tenants de la famille « biologique » à ceux de la famille « d’intention ». 

Il en va de surcroît de la responsabilité de l’Etat, l’adoption étant non seulement une mesure de protection de l’enfance mais une partie intégrante de la politique familiale.

L’Etat a en effet la responsabilité de garantir à chaque enfant le droit à une famille et à ce titre la responsabilité de l’Etat qui ne ferait pas respecter ces principes pourrait, me semble-t-il, être engagée judiciairement au nom de l’enfant.

On peut donc se poser la question de savoir si la volonté de développer l’adoption simple, ne participerait finalement pas de ce même état d’esprit, qui ne considère pas l’adoption comme une solution à part entière. 

J’en terminerai en rappelant, contrairement à une idée assez partagée, que si l’adoption plénière a été consacrée récemment sur le plan législatif (1923 – 1939), cette pratique existait dans les faits depuis très longtemps. 

En effet, en remontant simplement aux origines du Code Civil de 1804 celui-ci prévoyait, dès lors que les parents étaient mariés, que la filiation résultait non de l’accouchement, mais de l’acte de naissance qui lui-même reposait sur la déclaration des parents, et sur la possession d’état, c’est à dire sur le comportement des parents vis à vis de leur enfant. En cas de réunion de ces deux éléments, à savoir acte de naissance et possession d’état, la filiation devenait inattaquable. (15)

Il n’était donc pas nécessaire de créer un régime spécifique d’adoption qui pourtant se pratiquait dans les faits.

En conclusion, il ne peut, à mon sens, être question de généraliser l’adoption simple comme modèle pour les enfants placés. 

Il me semble qu’il convient au contraire de partir du modèle de l’adoption plénière comme principe.

En revanche, il serait intéressant de réfléchir à la possibilité d’envisager, dans certains cas spécifiques des aménagements par exemple judiciaires.

Le Canada a ainsi mis en place dans certains cas très particuliers une adoption avec ouverture, ce qui permet à l’enfant de conserver des liens avec sa famille d’origine. 

Mais le raisonnement est ici très différent, il ne s’agit pas de promouvoir l’adoption simple, mais de partir de l’adoption plénière comme modèle unique, qui dans certains cas précis pourrait être modulé.

Références : 

  1. Rapport ONED 2015 – les chiffres clefs de la protection de l’enfance
  2. Rapport ONED : la situation des pupilles de l’Etat, enquête au 31 décembre 2013.
  3. Rapport sur l’adoption – Jean-Marie Colombani, la Documentation française 2008
  4. Enfant d’ici, enfant d’ailleurs : l’adoption sans frontière : rapport au premier ministre – Jean-François Mattéi, Anne-Marie Le Boursicot, la Documentation française 1995.
  5. Livre blanc EFA, Enfance et Famille d’Adoption (2012-2013)
  6. Rapport Académie Nationale de Médecine, Faciliter l’adoption nationale (2011).
  7. Cour d’Appel d’Angers, 26 janvier 2011 n°10-01339
  8. H. et autres c.Russie ( n°6033/13)
  9. Cour de Cassation – 1ère Chambre Civile 4 mai 2011 – n°438 (10- 13.996)
  10. Marcela Iacub – L’empire du ventre, pour une autre histoire de la maternité, Paris, Fayard collection « l’histoire de la pensée » 2004. En particulier page 60 et s.
  11. Ibid p. 66
  12. Rép. Civ. Dalloz Adoption 2008 p 78 et s.
  13. CEDH Wagner c.Luxembourg – 458-28.06.2007  
  14. Assemblée Nationale, proposition de Loi 12 mai 2015 relative à la protection de l’enfant, texte adopté n°515
  15. Marcela Iacub – L’empire du ventre, pour une autre histoire de la maternité, Paris, Fayard collection « l’histoire de la pensée » 2004.