Dans une interview titrée «  Accès aux origines : notre société est prête à une plus grande transparence » donnée au Figaro il y a quelques semaines, le juriste Pierre Murat estime «  (…) qu’il faut que chaque enfant né d’un don de gamètes le sache et puisse connaître certaines informations sur son géniteur (…) ».

Si l’on peut entendre la demande d’accès à certaines informations, il importe pourtant de souligner les contradictions à l’œuvre dans la démonstration menée et les ressorts sur lesquels elle joue.

Tout d’abord le titre qui se réclame de « notre société » : autrement dit une opinion qui serait partagée par tous, sociétale, d’où forcément légitime et difficile à contester.

Or à aucun moment on ne lira de sources ni de chiffres dans cet article.

Pour justifier d’en finir avec « le secret des origines », le juriste invoque « les demandes d’accès aux origines des enfants adoptés », généralisant comme si tel était la demande de tous les enfants adoptés et que cette demande allait automatiquement de soit.

Par ailleurs, alors que l’article porte sur les enfants nés d’un don de gamètes, quelle est l’opportunité de faire le parallèle avec l’adoption, deux situations foncièrement différentes.

L’article poursuit «  nous savons aujourd’hui que les enfants doivent avoir accès à leur histoire. Un secret pathogène sur les origines n’est pas utile au processus d’établissement d’une filiation ». Présenté comme cela, comment ne pas souscrire à la « menace » véhiculée par cette image, le secret est forcément pathogène, tel un mal qui ronge sa victime et ne demande qu’à s’étendre.

Je pourrais pour ma part donner plusieurs exemples de personnes ayant appris tardivement « la vérité » sur leur histoire, sans que cela ait bouleversé leur vie. Ceci ne vaudrait en aucun cas démonstration pas plus que l’inverse ne serait vrai.

Vient ensuite l’argument « affectif » ou « empathique » qui se veut rassurant. «  Les enfants ne renient pas les parents qui les ont élevés mais demandent un accès à leur identité ». Dans ce cas  pourquoi écrire «  Nous n’avons pas à cacher ou à gommer une filiation » ? Or précisément il ne s’agit pas de filiation. Il n’y a aucun lien de filiation entre ceux qui font appel à un donneur de gamète et le donneur. Cette confusion laisse au contraire penser que la « véritable » filiation serait finalement bien « génétique ».

Venons en maintenant à un autre argument qui me semble intéressant à savoir celui de l’égalité. Le raisonnement est le suivant : « si la PMA s’ouvre aux couples de femmes dans quelques années, il y aura une discrimination entre les couples de femmes qui ne peuvent pas cacher à leur enfant le recours à un tiers donneurs et les couples hétérosexuels qui le peuvent ». Il propose donc pour mettre tout le monde à égalité, de mettre en place une nouvelle procédure d’établissement de la filiation qui puisse être connue de l’enfant.

Cet argument me paraît purement rhétorique car si l’on raisonne ainsi, il y aura toujours une inégalité avec les couples hétérosexuels qui peuvent avoir un enfant de manière « naturelle ».

Ne peut-on pas prendre les choses différemment : quelle serait l’inégalité supportée ? En quoi le fait de ne pas pouvoir cacher à leur enfant le recours à un tiers donneur serait problématique ? Quel serait le préjudice subi ? Pourquoi ne pas renverser la situation et faire de celle-ci un choix réellement assumé, peut-être différent mais assumé ?

Pourquoi ne pas considérer que toutes les filiations, quelles que soient leur mode d’établissement, sont égales c’est à dire de même valeur.

Lorsque Pierre Murat poursuit en écrivant que ce débat pose la question de savoir ce qu’est la filiation aujourd’hui, est-elle biologique ou culturelle, il me semble qu’il s’agit d’un faut débat, ou en tout cas un débat inutile.

Il entretien l’idée qu’il pourrait y avoir une concurrence, ou en tout cas une différence entre filiation biologique et filiation culturelle ou « non biologique ».

Nous savons tous que la filiation est une création juridique et sociale qui repose le plus souvent sur l’engendrement mais pas toujours et loin de là. Pour reprendre les propos de Maurice Godelier « la nature est indissolublement à la fois biologique, sociale et culturelle ; chacune de ces composantes n’existant jamais seule et étant toujours modelée et transformée par les deux autres ».

Ecrire que « dans l’adoption, les liens de filiation imitent ceux de la biologie » comme le fait Bernard Murat est une interprétation courante aujourd’hui mais qui contribue à entretenir des idées fausses. C’est une forme pure et simple de sophisme : la filiation  » classique » est fondée sur le lien biologique, l’adoption constitue des parents au même titre que les parents « biologiques », donc l’adoption imite la biologie.

L’adoption, en tout cas plénière, permet à un enfant d’avoir des parents en constituant une famille qui corresponde effectivement au modèle de parenté en cours dans notre société, ce qui est le droit le plus strict de l’enfant. C’est bien la force de l’adoption plénière qui existe au contraire indépendamment de tout lien biologique.

Mais ni plus ni moins que la filiation établie dans le cadre du mariage, puisque dans ce cas la « présomption de paternité » repose elle aussi sur le présupposé que le mari est le père de l’enfant, ce qui biologiquement n’est pas forcément vrai.

Faire croire que l’adoption plénière serait un décalque de la filiation biologique est donc totalement erroné et proposer comme solution le modèle de l’adoption simple c’est précisément rabattre la filiation sur le seul lien biologique.

De surcroît l’adoption simple ne peut en aucun cas être présentée comme un modèle de filiation amené à remplacer l’adoption plénière.

L’adoption simple n’a rien à voir avec l’adoption plénière qui seule crée un véritable lien de nature filiale entre parents et enfant, un lien définitif qui s’étend à toute la famille des adoptants, avec toutes les conséquences en découlant.

L’adoption simple est le plus souvent destinée aux majeurs. Elle  est de plus révocable, son objet étant de leur permettre de bénéficier de certains avantages, et ne peut en aucun cas remplacer l’adoption plénière qui est une mesure de protection de l’enfant.

C’est justement parce que l’adoption plénière n’est pas un décalque de la filiation biologique qu’elle doit garder sa spécificité qui en fait un mode de filiation à part entière.

Vouloir défendre l’adoption simple au lieu de l’adoption plénière montre le peu de cas fait à l’adoption plénière, et en dit long sur les préjugés à l’œuvre en ce domaine.

Yaël Halberthal