Dans sa critique du livre de Sofi Oksanen « les vaches de Staline », intitulée « La fille, la mère et moi » parue dans « Le Monde des livres » du 22 septembre dernier, le metteur en scène Wadji Mouawad, s’interroge sur les raisons qui le retiennent de succomber à ce roman, sur une certaine impression de malaise, « une impression diffuse de désaccord ».
Wadji Mouawad écrit : « (…) J’ai alors vu se dresser devant moi le geste de toute une génération, la mienne et celle de Sofi Oksanen, une génération née entre 1968 et 1978, dont l’axe obsessionnel consiste à tout reprocher à la génération qui l’a précédée. Que ce soient les révolutions manquées de 68 ou la guerre du Liban ou la chute du bloc de l’Est et des grands idéaux, il y a chez cette génération l’envie d’appréhender la douleur de la vie à travers un cri contre ceux qui nous ont mis au monde : « Vous ne nous avez rien raconté ! Vous avez refusé de nous faire part de vos défaites et de vos désillusions et à cause de votre silence, nous portons aujourd’hui les tares de vos défaites et de vos désillusions». Cela est peut-être vrai, mais c’est aussi sans doute faux car aucune raison n’est bonne pour vouloir à ce point aimer le chagrin (…) ».
Certes Wadji Mouawad, ne nous parle pas d’adoption, pas en tant que telle. Peut-être n’est-il pas même question de rapport « mère-fille » en dépit du titre de l’article « La fille la mère et moi, pas seulement en tout cas. Non, il est plutôt question du sens de notre vie, de notre « lien au monde », de la manière d’appréhender ce lien, de ce que l’on en fait, en essayant de ne céder devant rien – ni la peur ni le chagrin – pour citer Elisabeth de Fontenay. Debout quoi qu’il arrive. Maouawad pousse un cri, le cri d’un individu, mais aussi celui de toute une génération qui ne réussit à donner comme seul horizon à son existence que celui d’un reproche au passé. Pour eux, l’identité reste figée, comme gelée dans un combat contre ceux et celles qui les ont mis au monde, oubliant que le sens c’est aussi la temporalité.
Wadji Mouawad parle d’épuisement, et ce n’est pas seulement pour répondre à la question : que faire de cette douleur ? C’est aussi l’épuisement de ce combat sans espoir, de cette injonction obsessionnelle qui impute toute responsabilité au passé et de son corollaire, le chagrin. L’immersion dans le chagrin, dans un bain de chagrin, le bercement du chagrin. Wadji Mouawad cite l’écrivain Sylvia Plath qui dans La Cloche de détresse (Denoël, 1972), « parvient à s’élever au-delà du lien qui enserre la fille à sa mère et à se débarrasser de toute rancune envers autrui pour se prendre elle-même comme lieu du monde ».
Yaël Halberthal